jeudi 25 décembre 2008

feu vert follet bleu arrière rouge
des miettes de phare dans les arbres
leurs flots immobiles et la rivière dans la rue
au cou de la ville
sur sa poitrine sourde près
d'un cœur des émeraudes des saphirs des rubis
se condensent sur la vitrine
piquetée de gouttes du bus
sur le sol étoilé et la nuit niée
par son néon

Nature (im)mort(alisé)e

Aujourd’hui a la même composition qu’hier, quelques objets en plus. Croquis d’un livre que l’on parcourt en stop. Des pages qui déchiffrent des tableaux et qu’on déchiffre à la loupe, les yeux pas encore dessinés aux pinceaux. Le rendu des drapés aussi dans le froissement de la couette ; y pèse la lumière de Vermeer. Persistance rétinienne, le papier cadeau encore froissé et le volètement métallique de leurs anglaises. Une Parque fronce nos joues et noue le fil quelque part dans les cheveux. Quelques accords plaqués or. Le silence en est. L’aile argentée de la fenêtre ; le temps passe toujours moins vite quand on ne le retient pas.

mardi 28 octobre 2008

Légende de quartier

Sur la façade d'un immeuble haussmannien.
Une Ondine frappe facétieusement
à la fenêtre et le long d'elle
ruisselle en giboulées blanches.
Son rire jaillit en continu.
Puis la vitre la réfracte
dans sa fontaine publique
et le bus s'éloigne
des gloussements joyeux.

samedi 25 octobre 2008

(((((((((((Je visite cette ville méditerranéenne, aux nuances chaudes mais au vent froid. La rive que je longe, un peu excentrée de la ville, est quasiment déserte. L’autre côté semble un peu plus animé ; même si les maisons sont enfilées comme les perles d’un collier oublié depuis bien longtemps sur une coiffeuse qui n’est plus guère visitée, j’aperçois deux personnes attablées devant l’immense pan de la boutique d’un bistro, écrin de bois sombre pour de riches conversations. Quelques rayons obliques réchauffent le blanc de la chemise du jeune homme, tandis qu’à côté de lui, des objets que je ne distingue pas renvoient quelques ternes éclats. Rendu curieux de leur vie, je m’engage sur le pont. Tout semble m’emmener vers eux : le vent qui me pousse amicalement dans le dos, comme pour encourager un enfant timide à aller saluer quelque grande personne aimable, les cyprès qui inclinent leur feuillage souriant et m’indiquent ainsi le chemin d’un coup de tête, le pont lui-même qui s’arrondit sous mes pas comme sous la main caressante le dos d’un chat ronronnant. Je me penche un instant au-dessus du parpaing pour vérifier que la présence d’un fleuve bien silencieux. Quand je relève la tête, force est de constater que l’eau a bien coulé sous le pont : les clients ont disparu et avec eux le bistro tout entier – mirage à l’envers d’une carte holographique.


- Tu ne devrais pas restée attablée ici, à boire.
- Tu le fais bien.
- Je ne risque pas de tacher une robe de deuil. Que va-t-on penser ?
- Si tu mets une robe, que tu fais le deuil de ta raison, mon garçon – de toute façon, il n’y a presque personne.
- Je me demande de quoi on a l’air, comme ça.
- De nous.
- Oui, mais si on ne se connaissait pas ?
- Alors nous aurions l’air…
- …de deux ivrognes.
- Non pas. D’une mère et de son fils… ou de deux amants, tiens, un peu marginaux, un peu rêveur…
- Et lui serait en train de lui décrire l’endroit lointain où il veut l’emmener…
- … une ville méditerranéenne aux contours irréels à force d’être nettement découpés par le soleil. Puis des cyprès qui ne seraient plus en deuil et agiteraient leur frondaison dorée.
- J’en prendrai un comme une plume pour la tremper dans le fleuve et créer cet endroit. L’encre même tournerait silencieuse mais avec de doux mouvements de tendresse, des débordements contenus, des odeurs fruitées et un goût enivrant. Le cercle du vin tangue dans son verre, dans sa main.
- Oui, je vois la même chose dans mon verre. Est-ce qu’on pourrait nous voir ? Quelqu’un ?
- Il s’évanouira comme un mirage à peine aperçu venant à nous par le pont de notre imagination.
- Tout de même, il nous surprendra. Sauf si… et elle vide son rêve d’un trait.

jeudi 17 juillet 2008

Le pickpocket

Il suit sa proie de près,
comme un crabe,
la pince aux aguets.
Regards furtifs de gauche
,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,et
,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,de droite
lascif, prêt pour son larcin.
L'air de ne pas y
toucher, désinvolte
et discrètement indiscret,
il glisse
sa main dans la poche de sa proie.
Elle n'y prend garde, pigeon vole et
lui ne craint pas les représailles.
Elle, glisse
sa main dans la poche arrière de son jean
à lui.

[Ils s'embrassent.
Crime parfait.]

Valse à contretemps

Under
,,,,,,,,,,,the music
take
,,,,,,,,,,,the lead
of the funeral process

mercredi 16 juillet 2008

Ca ne cadre pas

I feel
I am
a Hopper's painting
ill-framed.

dimanche 22 juin 2008

L’être et l’étang.

;;;;;;;;; Le sol ressemble à une vieille gaufre en plastique qui aurait un peu fondu au soleil. Gaufre saupoudrée de papiers à défaut de chocolat et parsemée de mégots en guise de vermicelles. Les sièges ont la panse bien trop pleine de ceux qui ne sont pas tout à fait restés sur les rails – à ma droite, en diagonale, un a la vieillesse maigre et vomit du rembourrage par petites quintes inaudibles. Les vitres brinquebalent leurs messages d’amour ambulants – et ses grandes ratures. Le métal n’est ni brillant, ni froid, ni sonore ; terne, il collectionne en un grand capharnaüm des relevés d’empreintes digitales. Un grenier sans souvenir ni trésor, mais les bactéries doivent certainement en tenir lieu – c’est sans doute ce qui me retient d’aller ramasser l’épluchure journalière. Une rame de train, quoi. Vide, voilà. Mes yeux ont fini d’en faire le tour. Mais lui est loin d’avoir clos sa boucle. Le tableau qu’offre la fenêtre est une croûte. Pas envie de la casser, tous ces trucs gratuits sont indigestes. Des bandes de vert, éclaboussées de gris. Le gris n’est pas monotone, toujours sale, ou entre-deux – c’est la couleur de l’indécision. L’uniformité est l’apanage du vert quand la nature se réduit à cette vague vomissure verte qui borde les chemins de fer. Le siège à ma droite est toujours à l’agonie. La vitre est toujours raturée comme un mauvais poème. Mes pieds sont à leur place, attachés par la bride de mes sandales. Le siège en face est stoïque comme les troncs d’arbre qui doivent défiler quelque part sous la verdure grisâtre. Toujours marron. Devant, c’est vide. Je lève les yeux au ciel – un couvercle même pas nuageux. Je fais bouger un peu mes pieds, aux ongles abimés par les pointes, mais le spectacle de marionnettes n’est pas amusant sans spectateur. Je lâche les ficelles et les pieds s’écrasent par terre avec un bruit aveugle. Je regarde ailleurs. Non, je vois ailleurs. C’est tout aussi inintéressant, d’ailleurs. C’est marron, c’est vert. Tiens, il prend forme. Le train ralentit, comme si c’était encore possible. Une petite vignette bleu sombre me confirme que j’ai signé mon début de mort. Arrêt prévu à Versailles. C’était Denfert en même temps. Je ricane toute seule sur mon humour pourri. Couleur locale. Vert et marron, toujours ce duo sans antithèse. Ma petite robe rayée blanche et noire fait grise mine. Elle ne devrait pas être là, elle ne devrait pas avoir sauté dans le premier train. Elle aurait dû s’apercevoir plus tôt que le train faisait la grande boucle. Présentement, je hais le conditionnel passé. Puis tant qu’on y est, je hais le vert et le marron – je vous fais un prix de groupe. Le sol n’est toujours pas de marbre et s’obstine à rester muets à toutes les provocations de mes talons. Bien. Je tourne la tête à gauche et explore la fenêtre, le boudin noir qui l’encadre à ravir, méprise sa tenue dégainée, son double jeu de vitrage. Et puis d’abord, comment la crasse réussit-elle à s’insérer dans ce vide ? Cette question métaphysique a fait déraper mon regard. Dévié sur la paroi couleur rocheuse, il s’affaisse par terre. Rebondit sur sa dureté, est renvoyé sans réfléchir par le métal et tombe étouffé entre l’assise et le dossier du siège. Je le tire de là et il fusille toute la rame en représailles. Le siège éventré me regarde d’un air outré. On passera outre, mon cher. Mais il me barre le chemin de toute son étendue marron. Je sais d’avance que l’issue de secours est verte. C’est insupportable. Mais il le faut bien ; alors le cuir mou des sièges se dégonfle, le métal se tanne et les vitres se chargent de raturer le paysage pour moi. Faisons un effort. Il y a des arbres le long de la voie ferrée, des rangées de sièges dans la rame que j’occupe à défaut de m’occuper. Il y a des feuillages qui défilent et des boudins marron qui se défilent. C’est vert et marron, quoi. Qu’est-ce qui n’est pas vert et marron, d’ailleurs ? Mais mon sac est noir, voilà un peu d’espoir. Ma main farfouille pour moi et identifie une carte de transport, un plan du réseau urbain d’Ile-de-France (ricanons), des mouchoirs, une bouteille d’eau (une gourde dans ce désert) et un livre. Je sors le Roman comique, mais les mots vont aussi lentement que le train et refusent de s’assembler en phrases – des wagons un jour de grève. Le Destin est lancé dans quelque épopée qui ne m’amuse pas. A croire que l’encre est verte et marron. Verte et marron. Marron et vert. En vert et contre le marron. Marron, vert, marron, vert, vert, marron, vert, marron, vert, vert, vert. Essayer de ne plus penser. Oui, c’est ça, ne plus penser à rien. Je vais devenir moi-même verte. Ne plus penser à rien. J’y suis presque. Les formes se dégonflent comme des ballons de baudruche, les couleurs s’estompent. Presque, presque. Rien. Là. J’y suis là, non ? c’est rien, là. Ce n’est rien, plutôt. Je ne pense plus à rien. Je ne pense plus au vert et au marron. Je ne… Je pense encore au vert et au marron. Ils coexistent, comme Versailles et Massy Palaiseau sur le plan. Succession des étiquettes bleu sombre, plantées sur leur poteau gris comme des sucettes amères. Un court arrêt dans l’espace, une faille dans le vert et le marron, un gouffre dans le temps. L’être et l’étang. Stagnant. J’en ai marre.
Les étiquettes bleu sombre continuent par ricochets.
Encore trois stations. Encore. Dans trois stations, j’arrive à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai
Dans trois…

______


Le Roman comique, c'était au début de l'année.
Qu'ils nous filent les résultats et qu'on en finisse.

lundi 16 juin 2008

Dead love letters


Du mal à trouver le sommeil – grincement de dents dans l’engrenage de mon cerveau. Je me suis fait des films, on m’annonce aujourd’hui que la séance n’aura pas lieu. Il faut donc, en résistant à la tentation de les débiner, ranger les bobines de cette histoire cousue de fil blanc. Les images étaient bonnes, le montage chimérique ? La bande a été coupée : il n’y aura pas de happy ending à l’américaine. Remâchez votre pop-corn.


* *
*
Question tag

It isn’t
because you attracted me
because we danced together
because I allowed us to kiss
because I checked how far our homes were
because I feared to seem a fool
becauses smiles passed by
because you wrote me “I love you”
that you prefer not to love me,
is it ?

* *
*

Le bonheur est dans le caniveau

Concaténation de joies récidivées,
ces souvenirs
comme une canette de coca
écrasée.

Antécédent : yeux dans les yeux
et mains dans les poches,
allons prendre un verre.


* *
*

I told him "I love you", him that I had never seen
and he asked me “Who am I?”
- I was unable to answer

and I stopped writing poems to my own void love.


Echange e contre a

Deux verres dans la cuisine
Une veste dans l’entrée
Une autre dans le salon
Une chemise dans l’entrée
Un pantalon pendu à sa ceinture et une robe jetée par terre sur le seuil de la chambre
Un soutien-gorge au pied

d’un lit une place.

Pour moi et ma flemme.

dimanche 15 juin 2008

Bal manqué

Creation of a poem

A delicate bird
hit against
night’s cruel beauty
and promptly laid
an enchanted egg.

R. Brautigan

La tête dans les nuages, je fais l’autruche. Sur le sable que j’ai par-dessus la tête, des couples dansent, disparaissant derrière et devant les dunes, parfois éclipsés par un aveugle soleil. Sur d’implacables accords et des courbes poudreuses, les hologrammes valsent au son d’une basse. Tempérament de lave et mouches de basalte volent dans les airs, et virevoltent les robes gonflées par l’air orageux, tandis que les hauts-de-forme s’entêtent à suivre à quelque distance les cols cousus de fil blanc. Un parfum de lourde transparence.

L’autruche bat des ailes comme une otarie. Je ne vais pas vous pondre un œuf.

Question is
an ostrich
a delicate bird ?

jeudi 22 mai 2008

A-mi-chemin

[Ecrit aux dernières vacances, mais avec le concours...]


La valise atterrit à côté d’un jeune de mon âge. Celui-ci est moins mon soucis que celle-là. Je la hisse dans ce qu’on appelait autrefois un filet à bagage, mais le danger de l’Orient express ou l’effritement poétique du Paris-Rome n’étant plus, elle atterrira sur une plaque en verre – moins filet à provisions, plus grand comptoir. Par transparence on peut apercevoir la doublure rouge de mon manteau, assortie à la valise, en camaïeu avec le train. Une petite contorsion pour relancer la ceinture en tissu qui pendouille, et un cambré pour retrouver l’équilibre et s’affaler à sa place. Triturer son sac, le poser à ses pieds, le reprendre pour trouver le billet, le reposer par terre et tenter de le faire glisser sous le siège, le faire pivoter pour qu’il entre plus facilement dans le sens de la longueur. Suspendre ses gestes. Puis régler l’inclinaison du siège, mon prédécesseur ayant visiblement confondu transat et siège. Et puis soudain, il n’y a plus motif à s’agiter. M^me plus prétexte. Je prends l’air absorbé de celle qui s’est déjà soustraite au vacarme turbulent du départ – la contenance de celle sui fait tapisserie. Un sac passe au-dessus de ma tête, une main a failli me tirer les cheveux en s’appuyant contre l’épaule du siège. Les gens se parlent au-dessus de vous et leur corps plus encombrant que leurs bagages empiète sur l’espace qu’un bout de papier vous a octroyé ; tant que le train n’est pas parti, vous restez dans l’attente que la file cesse. Comme au théâtre où le public mal installé et jacassant se trouve de poule réduit à faire la carpe, les voyageurs se trouvent à leur place quand le train démarre. Un pan de mon œil – un pan seulement puisque avec les voyageurs parqués le cloisonnement des gens a commencé – note des mains qui glissent le long de la tablette sur le siège avant, sur le point de la déplier et la replace. L’autre la rejoint et elles s’étirent – involontairement l’œil remonte le long des avant-bras. Un regard aussi peu discret qu’indiscret grappille des lèvres charnues, entrouvertes, ébahies de stupidité. Des lèvres indécises qui fixent un passager puis l’autre, sans tressaillir, murmurer, ni se fermer. Il n’a pas l’air aidé, le pauvre garçon. Jugement sans appel. J’ai le mépris condescendant facile ces derniers temps. Après quelques regards haineux adressés à la nuque d’un pianiste de téléphone et quelques manipulations de sac de pure oisiveté, je me décide à sortir le polycopié sur la colonisation. Et un stabilo bleu – qui n’a pas beaucoup servi depuis Ovide. Le processus de déculturation en Algérie avance à un rythme soutenu, ce qui n’est pas vraiment le cas de ma lecture. Le pianiste entame un duo, le conducteur ses instructions et informations pour rejoindre le wagon-bar, la môme d’à-côté, un film et ma patience. Prête à médire sur le compte d’une fan de Harry Potter pour le plaisir d’une anacoluthe. Allez, littéraire de mes deux, un peu de rendement, - souligne, stabilote, droit tant qu’à faire. Entre la lecture et la noyade des points phares (il y a toujours un point phare qu’on s’empresse d’éclairer au fluo), des instants de flou. Un mouvement à ma gauche aboutit à faire apparaître un magazine. Sûrement de foot. La curiosité est cependant plus forte que le mépris. Sciences humaines. Mon mépris en prend un coup. Il multiplie même les courbettes pour faire place à une estime un peu trop soudaine pour ne pas être au moins au début une forme d’excuse – et de sauvegarde d’amour-propre. Les lèvres ne me parlent pas autant qu’un magazine. Pauvre idiote avec tes réflexes de khâgneuse. Tu condamnes les apparences, mais imprimées sur un papier glaçant, elles font jurisprudence. Les pages se tournent à gauche tandis que de mon côté je retourne péniblement mon poly relié d’un côté puis de l’autre, avance rapide et retour en arrière avec arrêt sur image, toujours la même double page écartée, d’un côté puis de l’autre, comme un steak qui refuserait de cuire. C’est à point nommé que la politesse crue de mon voisin vient assaisonner mon manque de motivation flagrant. En Terminale ?non, quelques deux ans de plus. Ah bon, c’est que c’est ce qu’on vient de faire, j’ai vu Abd-el-Krim. Et moi j’ai vu Nietzsche. On voit qu’on est vachement à ce qu’on fait. La conversation s’engage. Enfin non, nounous engageons dans la conversation. Il n’y a pas cet effet mécanique et impersonnel de la forme réfléchie. Seulement la matière de l’apostrophe. Pas de distanciation par les poses articulées, la proximité l’empêche, tandis que le rejet premier prévient toute dégradation en promiscuité. Des a priori contrariés : il n’y a peut-être pas de bases plus saines. Pas d’envie de plaire, juste se plaire à échanger nos vies. Un Terminale S qui, lorsque je lui dis khâgne me demande si je suis en classique. Et moi de lui avouer que maths sup n’est pas ma spé et que je suis à des années-lumière des classes étoiles. Il rit simplement. Les noms des grandes prépas parisiennes fusent dans notre conversation comme les hauts lieux d’un monde commun. On rêve de croisades sous les bannières d’Henri IV et de Louis-le Grand ; j’essaye de lui expliquer les mythes au quotidien, mais le mythe ne se raconte pas, il se répète et varie, se déforme. A juxtaposer ces lieux communs contradictoires, il se fera une idée de lui-même. Du travail, certes. Pas besoin d’enfoncer le clou. Ni le sandwich que je viens de sortir et sur le quignon duquel je scande mes hésitations. Les formules restent mathématiques, assez d’affinités et mon appétit se porte bien. Je mange et nous parlons. On sème des idées, lui des sourires et moi des miettes. Je ne m’étouffe même pas pour pouvoir répondre plus vite. Les silences sont déjà comblés par l’incessante vie du wagon – il n’y a pas de tour de parole, seulement de roues. Pas de question pour dresser la fiche-type – je me suis déjà trompée pour le cataloguer- chacun a dessiné une porte à sa monade et l’a ouverte en même temps, un instant pour renouveler l’air. Pas de chansons préférées, des sœurs venues en comparaison, peut-être même après les contrôleurs. Il finit ce que je prends à peine la peine d’identifier comme des sandwichs aux cornichons. Je ne les ai pas vus sortis du sac ; ma part de gâteau au chocolat a disparu sous mes paroles. Il tourne la tête vers la fenêtre (parce qu’il en a envie. Comme une évidence. Il ne se donne pas une contenance, ne cherche pas l’inspiration ni à me fuir. Je ne cherche pas à m’abîmer dans la contemplation de la tablette grise devant moi – grise par habitude, d’ailleurs, je ne me souviens plus de sa couleur – et laisse ma tête dans le même angle. A la place de son visage, il y a de courtes boucles noires, avec un peu de gel auquel colle ma première impression. L’échange reprend, si tant est qu’il ait jamais été interrompu – souple, lâche, ponctué de silences et d’accents, haché de reprises et vivant de pauses rebondissantes, souples, lâches… Des phrases affirmatives côte à côte, séparée par un accoudoir. Chacun à sa place, mais en regardant dans la même direction. Deux monologues qui s’entendant. Qui s’étendent.

[ On arrive bien à 16h05, je te fais confiance. Il textote ma vérification de moins une minute].

Il reste dix minutes. Il sourit ; ses lèvres trop épaisses s’écartent et ses yeux rentrent en scène. Ils sont souriants, tournesols riants. Des épingles qui attendant tranquillement sur le pique aiguille que la couturière porte au poignet (montre d’un temps bientôt passé) et des filaments Van Gogh. Jaune, orange et caramel – quoique ce ne soit pas l’odeur de son parfum. Mais la couleur de son pantalon. On rit de toutes ces filles en slim, des HEC fashion, de ces filles en slim avec leur sac à main Longchamp. On rit avec l’assurance de ceux qui ont d’indémodables Eastpack. Des Longchamp en cours. Elles le portant toutes là. La surprise de l’œil aiguisé désigne le creux de son coude. On rit franchement. « Au fait je ne t’ai même pas demandé ton nom ». Pierre. Simple te reposant comme le minéral – pierre. Je me sens presque idiote de cette question : Pierre, Paul, Jacques… Il sort trop tôt ses bagages et je le suis. Un gamin derrière moi annonce à sa mère qu’il ne peut pas avancer parce qu’il y a un monsieur devant lui. C’est une dame, le corrige sa mère. La dame sourit ; le monsieur lui va très bien. Il a deux sacs qui étoffent son buste et font paraître ses jambes encore plus grandes que ce que suggérait déjà leur aspect recroquevillé d’araignée repliée.

Le train met un peu de temps à arriver. Je ne dis plus rien parce qu’il est déjà parti et le môme derrière persiste dans son excuse « Mais je croyais que c’était un monsieur, maman. » La mère veut que ça finisse. Moi pas forcément. Avant de descendre, on se sépare, enfin il nous sépare d’un « Bon courage » que je rends mutuel. Les sacs. Le marchepied. La valise. Les escaliers. Le hall. La sortie. Ma correspondance dans vingt minutes. Et d’une à l’autre, ses parents en chauffeur de taxi. Je roule mon hésitation d’une porte vitrée à l’autre et m’appuie sur ma valise. Il ne se retourne pas – il n’a aucune raison de se retourner. Lui demander son adresse mail ? Pour que l’échange se tarisse et avoir la météo de Clermont-Ferrand ? Je ne pense pas vraiment à cela sur le moment. Une longueur de valise. Je sors un crayon à papier et une feuille de brouillon que je pie et glisse dans ma poche. Je traîne mon déambulateur de grande indécise pour être dans l’axe de la porte vitrée. Il n’y a plus personne. Alors je composte le billet de ma correspondance et avant de pleurer le retour de la poste restante, je me souviens de la double page à laquelle son magazine est resté ouvert pendant qu’on discutait. La mémoire, Bergson et Nietzsche. Il faut oublier pour se souvenir. En chapô, en bas, en haut-de-caste rouge. Il faut oublier pour réinventer. A l’encontre, à l’envers et à l’endroit, je veux des rencontres, des malgré moi. Sourire. Des souvenirs. [Et des moi(s)].

lundi 21 avril 2008

Nocturne

Un cri réveille la nuit et étouffe mon sommeil. Il terrasse mon corps en dépit de la couette, nivelle le cœur et l’estomac, et disparaît avec la clef de voûte de l’arche thoracique. Clé de sol d’un éboulement répercuté. Ma colonne vertébrale se précipite dans la gorge, gouffre encaissé où viennent résonner les vibrations de cette corde insensible. Où le blanc silence marque la portée du cri. Viol d’un violon écorché – et les rêves lointainement même égratignés. Sans égard pour la décalcomanie de mon sommeil fossilisée, drapée dans ma panique, un pied dans le ciel, l’autre sur la moquette, j’ouvre la fenêtre et les volets grincent dans le silence plein d’échos. La rue baigne dans son éternité ambrée – elle n’est agressée que par mon irruption. Suspendue dans mon écoute, je vois des lumières s’égrainer dans le quartier - quelques pétales de rose rouge qu’un marchand de sable a octroyées aux rêveurs pleins de désir. L’épine, tombée sur le point névralgique de la ville reprend son œuvre de déchirure, quelque part. Elle ouvre les veines du sommeil et laisse s’échapper les rêves, qui tombent à terre comme on tombe amoureux. Elle taillade l’inconscient. Comprime le corps - dilate la chair – convulse la sérénité. Palpitation de panique. Mon pyjama livide tombe sur mon épaule. Dehors, la chaleur organique de l’instinct en alerte – à l’intérieur, la lourde fraîcheur nocturne, anonyme. Les hurlements glaçants ont paralysé la nuit. La température est devenue une couleur, violette d’indécision, entre le danger brûlant et les veines bleutées. Violet d’une angoisse étranglée. Venu d’une artère vidée, un souffle erre dans la rue – refermer le cœur battant de la fenêtre. Comme un papillon de nuit attiré par la lumière, le bruit du silence est entré dans ma chambre – il bourdonne sans issue, mais il aura disparu demain matin. Les draps palpitent par monts et par vaults – les sens en éruption. Je redoute que se rouvre le cri, alors le vide grésille d’échos avortés. D’échos amorcés. De corps morcelés. C’est alors que…

mardi 8 avril 2008

Préci’yeux

Reflet déteint - scelle l’âme ou. Retient l’eau trouble – du désir. Miroir sans tain, mouroir de l’envie. Marécage à désir et. Des œillets stagnent, prêts à être lancés – contre la paroi bleu-verre d’eau, s’écoule une opacité translucide. Tréfonds concave où l’on s’enivre, convexe et on divague. A l’âme sous globe où l’on s’englue, sanglot – désire tant et. Vitre cristalline.

samedi 8 mars 2008

gestes esquissés à main déliée

Sourires et gestes esquissés. Trois paroles échangées. Puis une main qui frôle la taille pour prendre la mesure de sa réception. L’impassibilité du corps entier l’invite à s’attarder, à frôler, folâtrer. Elle accompagne le corps qui va de l’avant, marche pour ne pas s’y appuyer, modère sa démarche pour ne pas la perdre. Vérifie sa présence. La main s’habitue. Elle prend ses quartiers ; alors les doigts se font inquisiteurs. Ils tâtent le terrain, évaluent la résistance du corset – prenant de l’assurance les petites bêtes grappillent de la place, de baleine en baleine. Le chat malaxe le tissu de ses coussinets. Pression légère et pourtant sensible. Comme si elle évacuait l’air. Un vide. Qui racle le fonds de la gorge et fait résonner aux oreilles son propre souffle. Flottant. Flottement. Attente et assurance. Le bruit reparaît ; l’on n’avait pas même remarqué sa disparition ; la musique reprend ses droits, reprend les corps, reprend les esprits, les ôte et les ravit, la danse reprend, le mouvement, la foule, cette main géante qui vous enveloppe. Celles de tout à l’heure reprennent leur activité. Elles s’attaquent à l’autre côté, se rejoignent par devant. Enserrent dans un étau tout ce qu’il y a de confortable. Elles gigotent agréablement – sous le tissu la peau ne fait pas un pli. Elle vibre sous les mains de l’artiste. Lui joue des deux mains, tire les cordes pour sortir un son muet de l’instrument, une vibration presque disparue et pourtant ressentie. Le frisson est chaud – suspendu ; par un souffle court à l’orée de mon oreille. Les doigts arrêtent de bouger, les mains se font plus dures d’immobilité. Le souffle monte le long de ma tempe gauche, je le sens un peu dans mes cheveux. Mon regard qui descend vers les mains qui scellent la prison consentie. Le souffle descend lui aussi. Je sens une buée sur mon cou, elle se condense du bout des lèvres. Danse immobile des corps, ainsi enlacés, mouvement du cou. Recueilli dans la paume. Etalé sur les épaules. Pressé le long des bras, pressés le long du corps. Doigts pressés qui tricotent avec les miens. L’un roule au creux de ma paume, un tendon mystérieux la relie à ma gorge : l’archet caresse. La main a effacé, elle doit recréer et pour cela repasser encore et toujours dans le cou, sur les bras, sur les épaules, répétée en écho par son double, elle bifurque hors des sentiers battus et se laisse subrepticement glisser d’une épaule à l’autre, par-devant cette fois. Mon corps se remet en mouvement, rentre dans la danse, mes poings cherchent à se dégager de la brassée. Les liens défait, les corps s’oublient, les visages se découvrent – mon regard fuit. A nouveau hypnotisée par le tour de prestidigitateur de ces phalanges s’articulant en volutes, je suis captiv(é)e. Dos à lui ; collée à un mur chaud et sensible. Et toujours, dissociées du regard, les mains. Les mains qui glissent et me rattrapent, les mains qui font sembler d’adorer mon corps en en dessinant les courbes de haut en bas. Jeu provocateur. Avec respect. Se lient et se délient. Charme. Cambré qui trouve son étai sur un dos. Caresses recommencées, pas même pensées. Juste pour sentir. Souffle rauque à la naissance du cou. Yeux égarés. Evités. Doigts emmêlés. Encore. Plus. Personne. Qui ? Des corps. Echappée belle – pas – de baiser. Texte aporétique. Devenue souvenir, la sensation n’existe plus. Pur fantasme – à (re)créer.

Soufflet

Devant moi, sur l’escalier roulant qui rembobine les piétons du quai en avance rapide, deux bras lestés à équidistance par deux sacs de même corpulence forment un balancier latéral. Leur tressautement régulier d’accordéon désarticulé attise mon attention. Le mouvement tient tant du soufflet qu’entre la parka lie-de-vin et le béret violet, je discerne presque de la fumée sortir de ses oreilles rougies par le froid.

samedi 1 mars 2008

Petit crachin et bourrasques fantasques

Entre les cailloux ou le charbon ( il est formellement interdit de descendre sur les voies – même pour vérifier) poussent des mégots de paille desquels se nourrissent quelques plantes vicieuses. Des chewing-gums invisibles viennent cimenter ça et là la construction précaire des morceaux de charbon.

Un grand bruit vient jeter des éclats bleus – le charbon est parti en électricité. Pourtant l’humeur des gens à l’intérieur semble avoir été noircie au fusain – mine de charbon. A défaut d’être dans le ciel, la lumière n’est pas dans leur visage – c’est tout juste si l’électro luminescence des loupiottes bleues se reflète dans leurs deux gouttes d’eau. Les clignements de paupière hébétés empêchent de s’en assurer. De chaque côté de la rame, la pluie nervure les vitres mais personne ne prend la peine de déchiffrer ces feuilles raturées - emportées par le vent.

Avance rapide hypnotisante. Il flotte une morne quiétude. Aucune surprise donc à voir une anguille de néons serpenter à côté du train – lorsqu’on est en sous-matin, il ne faut pas s’attendre à être escorté de dauphins. Excroissance lumineuse du train, elle le poursuit comme son ombre, tantôt bannière d’un ciel détoilé, tantôt anguille sur roche. Si j’étais d’humeur fantaisiste, j’irais lui faire calligraphier quelques ondulations à côté de la carpe d’Arizona Dream. Mais ne nous dispersons pas ; déjà il faut rappeler son absence pour la faire descendre en même temps que soi.

Le trajet est aussi homogène qu’un itinéraire tracé sur une carte. Une coquille d’impression cependant : un escargot immortalisé en une éphémère mosaïque.

Au bout du train, le trajet est pointless. Le point final sera un rond-point d’où repartir rondement. Pour ne pas rimer à rien, j’arrime cet instant à ma fantaisie débridée ; le final fantasque s’emballe et sème derrière lui le médiocre moyen. Pas même à pleurer, le ciel s’en chargera pour moi.

Sac sur le dos, recroquevillée sous la coquille de mon parapluie, mon imagination hermaphrodite extrait sa nourriture à petites visions gorgées d’eau – à ma suite, la pluie en bave d’envie. J’allonge ma traine et j’épouse le décor. Toiles des tréfonds et accessoires improbables : un arbre planté là a été oublié, les feuilles jaunies à la peinture pas encore sèches – imparfaitement accrochées d’un seul côté du tronc. Il fait tache que le décorateur ait oublié la sienne circonflexe. Sortie du jardin côté cours – soulevant mon parapluie au-dessus de l’embrasure, je tire mon chapeau au ciel bien bas et le salue tout haut. Blafard et grisé comme un clown lunaire il en pleure de rire. Les éclats en constellent le dôme de mon chapiteau et applaudissent à mes pitreries silencieuses.

Bien cachée à l’intérieur de moi, j’ai découpé deux fentes d’où je puis voir sans être vue, tapie dans l’obscurité. Sur scène, devant mes yeux, derrière le quai d’en face, les feuilles font tapisserie. Parfois le vent en fait danser une ou deux, s’arrête, et alors toutes, suspendues à son souffle, frémissent d’être sa nouvelle partenaire. Sur cette valse monotone traversent des allegros aussi vivaces que fugitifs ; ils zèbrent et écaillent ce mur des feuilles en lambeaux, affichent dans un soupir leur museau. En déchiffrant la partition, l’on s’aperçoit qu’ils sont tout une portée à tracer un labyrinthe effacé. Prise de museau dans une voie à sens unique – envoyez valser la prise de tête.

Le crescendo de la pluie fait tomber le rideau depuis le câble du chemin de fer, et l’étoffe ondule sous l’effet du vent. Les bourrasques brouillent tout, mon champ de vision ne capte plus, mes antennes ne reçoivent rien. L’écran grésille jusqu’à ce que l’on change de chaine. La rétine éberluée est lors mitraillées de bleu électrique et de rectangles étirés au-delà des 24 images par seconde réglementaires. Un arrêt sur image et je prends la lecture en marche. C’est l’épilogue, l’anguille est toujours là et la carpe remonte le cours des accélérations rapides avec entrain. Mais pour que l’on ne me prenne pas pour une folle, je reste aussi muette qu’elle.

lundi 25 février 2008

Une silhouette de papier

Une silhouette de papier. Pas une photographie publicitaire ou une tentative de découpage chinois. Non, une silhouette taillée dans l’épaisseur de la feuille, dans le poids de leur accumulation. Façonnée par de petits signes noirs qui courent en lignes droites et pourtant s’enroulent autour de la figure qui disparaît sitôt les signes défaits. Une silhouette qui a de la consistance et à laquelle on s’adresse volontiers, même si l’on ne voit pas ses yeux, que l’on peut lire à cœur ouvert, même si l’on peut aussi choisir de la renfermer dans ses liens d’écriture. Plus réelle que le papier même sur lequel les impressions tracent son code ADN. Une silhouette de papier.

Métaphores effilées

Bribes, fragments, éclats, murmures, miettes de mots. Multitude à revêtir par toutes les humeurs.
Au fil d'associations de sonorités ou de vagues idées nébuleuses. Un collier de métaphore dont on perd le fil... s'est effiloché...