samedi 8 mars 2008

gestes esquissés à main déliée

Sourires et gestes esquissés. Trois paroles échangées. Puis une main qui frôle la taille pour prendre la mesure de sa réception. L’impassibilité du corps entier l’invite à s’attarder, à frôler, folâtrer. Elle accompagne le corps qui va de l’avant, marche pour ne pas s’y appuyer, modère sa démarche pour ne pas la perdre. Vérifie sa présence. La main s’habitue. Elle prend ses quartiers ; alors les doigts se font inquisiteurs. Ils tâtent le terrain, évaluent la résistance du corset – prenant de l’assurance les petites bêtes grappillent de la place, de baleine en baleine. Le chat malaxe le tissu de ses coussinets. Pression légère et pourtant sensible. Comme si elle évacuait l’air. Un vide. Qui racle le fonds de la gorge et fait résonner aux oreilles son propre souffle. Flottant. Flottement. Attente et assurance. Le bruit reparaît ; l’on n’avait pas même remarqué sa disparition ; la musique reprend ses droits, reprend les corps, reprend les esprits, les ôte et les ravit, la danse reprend, le mouvement, la foule, cette main géante qui vous enveloppe. Celles de tout à l’heure reprennent leur activité. Elles s’attaquent à l’autre côté, se rejoignent par devant. Enserrent dans un étau tout ce qu’il y a de confortable. Elles gigotent agréablement – sous le tissu la peau ne fait pas un pli. Elle vibre sous les mains de l’artiste. Lui joue des deux mains, tire les cordes pour sortir un son muet de l’instrument, une vibration presque disparue et pourtant ressentie. Le frisson est chaud – suspendu ; par un souffle court à l’orée de mon oreille. Les doigts arrêtent de bouger, les mains se font plus dures d’immobilité. Le souffle monte le long de ma tempe gauche, je le sens un peu dans mes cheveux. Mon regard qui descend vers les mains qui scellent la prison consentie. Le souffle descend lui aussi. Je sens une buée sur mon cou, elle se condense du bout des lèvres. Danse immobile des corps, ainsi enlacés, mouvement du cou. Recueilli dans la paume. Etalé sur les épaules. Pressé le long des bras, pressés le long du corps. Doigts pressés qui tricotent avec les miens. L’un roule au creux de ma paume, un tendon mystérieux la relie à ma gorge : l’archet caresse. La main a effacé, elle doit recréer et pour cela repasser encore et toujours dans le cou, sur les bras, sur les épaules, répétée en écho par son double, elle bifurque hors des sentiers battus et se laisse subrepticement glisser d’une épaule à l’autre, par-devant cette fois. Mon corps se remet en mouvement, rentre dans la danse, mes poings cherchent à se dégager de la brassée. Les liens défait, les corps s’oublient, les visages se découvrent – mon regard fuit. A nouveau hypnotisée par le tour de prestidigitateur de ces phalanges s’articulant en volutes, je suis captiv(é)e. Dos à lui ; collée à un mur chaud et sensible. Et toujours, dissociées du regard, les mains. Les mains qui glissent et me rattrapent, les mains qui font sembler d’adorer mon corps en en dessinant les courbes de haut en bas. Jeu provocateur. Avec respect. Se lient et se délient. Charme. Cambré qui trouve son étai sur un dos. Caresses recommencées, pas même pensées. Juste pour sentir. Souffle rauque à la naissance du cou. Yeux égarés. Evités. Doigts emmêlés. Encore. Plus. Personne. Qui ? Des corps. Echappée belle – pas – de baiser. Texte aporétique. Devenue souvenir, la sensation n’existe plus. Pur fantasme – à (re)créer.

Soufflet

Devant moi, sur l’escalier roulant qui rembobine les piétons du quai en avance rapide, deux bras lestés à équidistance par deux sacs de même corpulence forment un balancier latéral. Leur tressautement régulier d’accordéon désarticulé attise mon attention. Le mouvement tient tant du soufflet qu’entre la parka lie-de-vin et le béret violet, je discerne presque de la fumée sortir de ses oreilles rougies par le froid.

samedi 1 mars 2008

Petit crachin et bourrasques fantasques

Entre les cailloux ou le charbon ( il est formellement interdit de descendre sur les voies – même pour vérifier) poussent des mégots de paille desquels se nourrissent quelques plantes vicieuses. Des chewing-gums invisibles viennent cimenter ça et là la construction précaire des morceaux de charbon.

Un grand bruit vient jeter des éclats bleus – le charbon est parti en électricité. Pourtant l’humeur des gens à l’intérieur semble avoir été noircie au fusain – mine de charbon. A défaut d’être dans le ciel, la lumière n’est pas dans leur visage – c’est tout juste si l’électro luminescence des loupiottes bleues se reflète dans leurs deux gouttes d’eau. Les clignements de paupière hébétés empêchent de s’en assurer. De chaque côté de la rame, la pluie nervure les vitres mais personne ne prend la peine de déchiffrer ces feuilles raturées - emportées par le vent.

Avance rapide hypnotisante. Il flotte une morne quiétude. Aucune surprise donc à voir une anguille de néons serpenter à côté du train – lorsqu’on est en sous-matin, il ne faut pas s’attendre à être escorté de dauphins. Excroissance lumineuse du train, elle le poursuit comme son ombre, tantôt bannière d’un ciel détoilé, tantôt anguille sur roche. Si j’étais d’humeur fantaisiste, j’irais lui faire calligraphier quelques ondulations à côté de la carpe d’Arizona Dream. Mais ne nous dispersons pas ; déjà il faut rappeler son absence pour la faire descendre en même temps que soi.

Le trajet est aussi homogène qu’un itinéraire tracé sur une carte. Une coquille d’impression cependant : un escargot immortalisé en une éphémère mosaïque.

Au bout du train, le trajet est pointless. Le point final sera un rond-point d’où repartir rondement. Pour ne pas rimer à rien, j’arrime cet instant à ma fantaisie débridée ; le final fantasque s’emballe et sème derrière lui le médiocre moyen. Pas même à pleurer, le ciel s’en chargera pour moi.

Sac sur le dos, recroquevillée sous la coquille de mon parapluie, mon imagination hermaphrodite extrait sa nourriture à petites visions gorgées d’eau – à ma suite, la pluie en bave d’envie. J’allonge ma traine et j’épouse le décor. Toiles des tréfonds et accessoires improbables : un arbre planté là a été oublié, les feuilles jaunies à la peinture pas encore sèches – imparfaitement accrochées d’un seul côté du tronc. Il fait tache que le décorateur ait oublié la sienne circonflexe. Sortie du jardin côté cours – soulevant mon parapluie au-dessus de l’embrasure, je tire mon chapeau au ciel bien bas et le salue tout haut. Blafard et grisé comme un clown lunaire il en pleure de rire. Les éclats en constellent le dôme de mon chapiteau et applaudissent à mes pitreries silencieuses.

Bien cachée à l’intérieur de moi, j’ai découpé deux fentes d’où je puis voir sans être vue, tapie dans l’obscurité. Sur scène, devant mes yeux, derrière le quai d’en face, les feuilles font tapisserie. Parfois le vent en fait danser une ou deux, s’arrête, et alors toutes, suspendues à son souffle, frémissent d’être sa nouvelle partenaire. Sur cette valse monotone traversent des allegros aussi vivaces que fugitifs ; ils zèbrent et écaillent ce mur des feuilles en lambeaux, affichent dans un soupir leur museau. En déchiffrant la partition, l’on s’aperçoit qu’ils sont tout une portée à tracer un labyrinthe effacé. Prise de museau dans une voie à sens unique – envoyez valser la prise de tête.

Le crescendo de la pluie fait tomber le rideau depuis le câble du chemin de fer, et l’étoffe ondule sous l’effet du vent. Les bourrasques brouillent tout, mon champ de vision ne capte plus, mes antennes ne reçoivent rien. L’écran grésille jusqu’à ce que l’on change de chaine. La rétine éberluée est lors mitraillées de bleu électrique et de rectangles étirés au-delà des 24 images par seconde réglementaires. Un arrêt sur image et je prends la lecture en marche. C’est l’épilogue, l’anguille est toujours là et la carpe remonte le cours des accélérations rapides avec entrain. Mais pour que l’on ne me prenne pas pour une folle, je reste aussi muette qu’elle.