dimanche 22 juin 2008

L’être et l’étang.

;;;;;;;;; Le sol ressemble à une vieille gaufre en plastique qui aurait un peu fondu au soleil. Gaufre saupoudrée de papiers à défaut de chocolat et parsemée de mégots en guise de vermicelles. Les sièges ont la panse bien trop pleine de ceux qui ne sont pas tout à fait restés sur les rails – à ma droite, en diagonale, un a la vieillesse maigre et vomit du rembourrage par petites quintes inaudibles. Les vitres brinquebalent leurs messages d’amour ambulants – et ses grandes ratures. Le métal n’est ni brillant, ni froid, ni sonore ; terne, il collectionne en un grand capharnaüm des relevés d’empreintes digitales. Un grenier sans souvenir ni trésor, mais les bactéries doivent certainement en tenir lieu – c’est sans doute ce qui me retient d’aller ramasser l’épluchure journalière. Une rame de train, quoi. Vide, voilà. Mes yeux ont fini d’en faire le tour. Mais lui est loin d’avoir clos sa boucle. Le tableau qu’offre la fenêtre est une croûte. Pas envie de la casser, tous ces trucs gratuits sont indigestes. Des bandes de vert, éclaboussées de gris. Le gris n’est pas monotone, toujours sale, ou entre-deux – c’est la couleur de l’indécision. L’uniformité est l’apanage du vert quand la nature se réduit à cette vague vomissure verte qui borde les chemins de fer. Le siège à ma droite est toujours à l’agonie. La vitre est toujours raturée comme un mauvais poème. Mes pieds sont à leur place, attachés par la bride de mes sandales. Le siège en face est stoïque comme les troncs d’arbre qui doivent défiler quelque part sous la verdure grisâtre. Toujours marron. Devant, c’est vide. Je lève les yeux au ciel – un couvercle même pas nuageux. Je fais bouger un peu mes pieds, aux ongles abimés par les pointes, mais le spectacle de marionnettes n’est pas amusant sans spectateur. Je lâche les ficelles et les pieds s’écrasent par terre avec un bruit aveugle. Je regarde ailleurs. Non, je vois ailleurs. C’est tout aussi inintéressant, d’ailleurs. C’est marron, c’est vert. Tiens, il prend forme. Le train ralentit, comme si c’était encore possible. Une petite vignette bleu sombre me confirme que j’ai signé mon début de mort. Arrêt prévu à Versailles. C’était Denfert en même temps. Je ricane toute seule sur mon humour pourri. Couleur locale. Vert et marron, toujours ce duo sans antithèse. Ma petite robe rayée blanche et noire fait grise mine. Elle ne devrait pas être là, elle ne devrait pas avoir sauté dans le premier train. Elle aurait dû s’apercevoir plus tôt que le train faisait la grande boucle. Présentement, je hais le conditionnel passé. Puis tant qu’on y est, je hais le vert et le marron – je vous fais un prix de groupe. Le sol n’est toujours pas de marbre et s’obstine à rester muets à toutes les provocations de mes talons. Bien. Je tourne la tête à gauche et explore la fenêtre, le boudin noir qui l’encadre à ravir, méprise sa tenue dégainée, son double jeu de vitrage. Et puis d’abord, comment la crasse réussit-elle à s’insérer dans ce vide ? Cette question métaphysique a fait déraper mon regard. Dévié sur la paroi couleur rocheuse, il s’affaisse par terre. Rebondit sur sa dureté, est renvoyé sans réfléchir par le métal et tombe étouffé entre l’assise et le dossier du siège. Je le tire de là et il fusille toute la rame en représailles. Le siège éventré me regarde d’un air outré. On passera outre, mon cher. Mais il me barre le chemin de toute son étendue marron. Je sais d’avance que l’issue de secours est verte. C’est insupportable. Mais il le faut bien ; alors le cuir mou des sièges se dégonfle, le métal se tanne et les vitres se chargent de raturer le paysage pour moi. Faisons un effort. Il y a des arbres le long de la voie ferrée, des rangées de sièges dans la rame que j’occupe à défaut de m’occuper. Il y a des feuillages qui défilent et des boudins marron qui se défilent. C’est vert et marron, quoi. Qu’est-ce qui n’est pas vert et marron, d’ailleurs ? Mais mon sac est noir, voilà un peu d’espoir. Ma main farfouille pour moi et identifie une carte de transport, un plan du réseau urbain d’Ile-de-France (ricanons), des mouchoirs, une bouteille d’eau (une gourde dans ce désert) et un livre. Je sors le Roman comique, mais les mots vont aussi lentement que le train et refusent de s’assembler en phrases – des wagons un jour de grève. Le Destin est lancé dans quelque épopée qui ne m’amuse pas. A croire que l’encre est verte et marron. Verte et marron. Marron et vert. En vert et contre le marron. Marron, vert, marron, vert, vert, marron, vert, marron, vert, vert, vert. Essayer de ne plus penser. Oui, c’est ça, ne plus penser à rien. Je vais devenir moi-même verte. Ne plus penser à rien. J’y suis presque. Les formes se dégonflent comme des ballons de baudruche, les couleurs s’estompent. Presque, presque. Rien. Là. J’y suis là, non ? c’est rien, là. Ce n’est rien, plutôt. Je ne pense plus à rien. Je ne pense plus au vert et au marron. Je ne… Je pense encore au vert et au marron. Ils coexistent, comme Versailles et Massy Palaiseau sur le plan. Succession des étiquettes bleu sombre, plantées sur leur poteau gris comme des sucettes amères. Un court arrêt dans l’espace, une faille dans le vert et le marron, un gouffre dans le temps. L’être et l’étang. Stagnant. J’en ai marre.
Les étiquettes bleu sombre continuent par ricochets.
Encore trois stations. Encore. Dans trois stations, j’arrive à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai à Versailles.
Dans trois stations j’arriverai
Dans trois…

______


Le Roman comique, c'était au début de l'année.
Qu'ils nous filent les résultats et qu'on en finisse.

lundi 16 juin 2008

Dead love letters


Du mal à trouver le sommeil – grincement de dents dans l’engrenage de mon cerveau. Je me suis fait des films, on m’annonce aujourd’hui que la séance n’aura pas lieu. Il faut donc, en résistant à la tentation de les débiner, ranger les bobines de cette histoire cousue de fil blanc. Les images étaient bonnes, le montage chimérique ? La bande a été coupée : il n’y aura pas de happy ending à l’américaine. Remâchez votre pop-corn.


* *
*
Question tag

It isn’t
because you attracted me
because we danced together
because I allowed us to kiss
because I checked how far our homes were
because I feared to seem a fool
becauses smiles passed by
because you wrote me “I love you”
that you prefer not to love me,
is it ?

* *
*

Le bonheur est dans le caniveau

Concaténation de joies récidivées,
ces souvenirs
comme une canette de coca
écrasée.

Antécédent : yeux dans les yeux
et mains dans les poches,
allons prendre un verre.


* *
*

I told him "I love you", him that I had never seen
and he asked me “Who am I?”
- I was unable to answer

and I stopped writing poems to my own void love.


Echange e contre a

Deux verres dans la cuisine
Une veste dans l’entrée
Une autre dans le salon
Une chemise dans l’entrée
Un pantalon pendu à sa ceinture et une robe jetée par terre sur le seuil de la chambre
Un soutien-gorge au pied

d’un lit une place.

Pour moi et ma flemme.

dimanche 15 juin 2008

Bal manqué

Creation of a poem

A delicate bird
hit against
night’s cruel beauty
and promptly laid
an enchanted egg.

R. Brautigan

La tête dans les nuages, je fais l’autruche. Sur le sable que j’ai par-dessus la tête, des couples dansent, disparaissant derrière et devant les dunes, parfois éclipsés par un aveugle soleil. Sur d’implacables accords et des courbes poudreuses, les hologrammes valsent au son d’une basse. Tempérament de lave et mouches de basalte volent dans les airs, et virevoltent les robes gonflées par l’air orageux, tandis que les hauts-de-forme s’entêtent à suivre à quelque distance les cols cousus de fil blanc. Un parfum de lourde transparence.

L’autruche bat des ailes comme une otarie. Je ne vais pas vous pondre un œuf.

Question is
an ostrich
a delicate bird ?