samedi 1 mars 2008

Petit crachin et bourrasques fantasques

Entre les cailloux ou le charbon ( il est formellement interdit de descendre sur les voies – même pour vérifier) poussent des mégots de paille desquels se nourrissent quelques plantes vicieuses. Des chewing-gums invisibles viennent cimenter ça et là la construction précaire des morceaux de charbon.

Un grand bruit vient jeter des éclats bleus – le charbon est parti en électricité. Pourtant l’humeur des gens à l’intérieur semble avoir été noircie au fusain – mine de charbon. A défaut d’être dans le ciel, la lumière n’est pas dans leur visage – c’est tout juste si l’électro luminescence des loupiottes bleues se reflète dans leurs deux gouttes d’eau. Les clignements de paupière hébétés empêchent de s’en assurer. De chaque côté de la rame, la pluie nervure les vitres mais personne ne prend la peine de déchiffrer ces feuilles raturées - emportées par le vent.

Avance rapide hypnotisante. Il flotte une morne quiétude. Aucune surprise donc à voir une anguille de néons serpenter à côté du train – lorsqu’on est en sous-matin, il ne faut pas s’attendre à être escorté de dauphins. Excroissance lumineuse du train, elle le poursuit comme son ombre, tantôt bannière d’un ciel détoilé, tantôt anguille sur roche. Si j’étais d’humeur fantaisiste, j’irais lui faire calligraphier quelques ondulations à côté de la carpe d’Arizona Dream. Mais ne nous dispersons pas ; déjà il faut rappeler son absence pour la faire descendre en même temps que soi.

Le trajet est aussi homogène qu’un itinéraire tracé sur une carte. Une coquille d’impression cependant : un escargot immortalisé en une éphémère mosaïque.

Au bout du train, le trajet est pointless. Le point final sera un rond-point d’où repartir rondement. Pour ne pas rimer à rien, j’arrime cet instant à ma fantaisie débridée ; le final fantasque s’emballe et sème derrière lui le médiocre moyen. Pas même à pleurer, le ciel s’en chargera pour moi.

Sac sur le dos, recroquevillée sous la coquille de mon parapluie, mon imagination hermaphrodite extrait sa nourriture à petites visions gorgées d’eau – à ma suite, la pluie en bave d’envie. J’allonge ma traine et j’épouse le décor. Toiles des tréfonds et accessoires improbables : un arbre planté là a été oublié, les feuilles jaunies à la peinture pas encore sèches – imparfaitement accrochées d’un seul côté du tronc. Il fait tache que le décorateur ait oublié la sienne circonflexe. Sortie du jardin côté cours – soulevant mon parapluie au-dessus de l’embrasure, je tire mon chapeau au ciel bien bas et le salue tout haut. Blafard et grisé comme un clown lunaire il en pleure de rire. Les éclats en constellent le dôme de mon chapiteau et applaudissent à mes pitreries silencieuses.

Bien cachée à l’intérieur de moi, j’ai découpé deux fentes d’où je puis voir sans être vue, tapie dans l’obscurité. Sur scène, devant mes yeux, derrière le quai d’en face, les feuilles font tapisserie. Parfois le vent en fait danser une ou deux, s’arrête, et alors toutes, suspendues à son souffle, frémissent d’être sa nouvelle partenaire. Sur cette valse monotone traversent des allegros aussi vivaces que fugitifs ; ils zèbrent et écaillent ce mur des feuilles en lambeaux, affichent dans un soupir leur museau. En déchiffrant la partition, l’on s’aperçoit qu’ils sont tout une portée à tracer un labyrinthe effacé. Prise de museau dans une voie à sens unique – envoyez valser la prise de tête.

Le crescendo de la pluie fait tomber le rideau depuis le câble du chemin de fer, et l’étoffe ondule sous l’effet du vent. Les bourrasques brouillent tout, mon champ de vision ne capte plus, mes antennes ne reçoivent rien. L’écran grésille jusqu’à ce que l’on change de chaine. La rétine éberluée est lors mitraillées de bleu électrique et de rectangles étirés au-delà des 24 images par seconde réglementaires. Un arrêt sur image et je prends la lecture en marche. C’est l’épilogue, l’anguille est toujours là et la carpe remonte le cours des accélérations rapides avec entrain. Mais pour que l’on ne me prenne pas pour une folle, je reste aussi muette qu’elle.

3 commentaires:

*Mélanie* a dit…

Je viens de découvrir grâce à toi le ballet de Kylian. Somptueux. Comme le talent qui t'habite et m'intimide. Devant tant de virtuosité, je me suis longuement interrogée sur le commentaire que tu as laissé, oscillant entre le compliment et la raillerie. Merci à toi d'avoir fait une escale sur mes mots, quoi qu'il en soit ^^

Anonyme a dit…

Jolie variation sur un matin pluvieux, avec cette magnifique partie dans le train, qui me rappelle tant de voyage, et puis ensuite la "fantaisie" comme tu le dis, la "fantaisie" du monde déformé, malaxé, embelli?

Beau texte.

khâryatide a dit…

Mélanie >> Une autre convertie à Kylian ! - je consens volontiers au prosélytisme pour une telle cause. Aucune raillerie dans mon commentaire (je compte d'ailleurs ajouter ton blog à mes liens dès que ma flemme aiguë me le permettra). Merci pour ton passage ici quoiqu'il en soit !

v. >> Merci !
Un monde malaxé au levain de l'imagination... J'avais oublié l'existence de ce mot. Malaxé. C'est curieux comme un mot peut paraître étrange lorsqu'on le répète plusieurs fois. Il redevient inconnu. Je le garde sous la dent avec tes pépites argentines ^^