dimanche 13 décembre 2009

La femme dans la fissure du diamant

Face aux bancs parsemés d’affaires étalées, j’ai découvert mon solo, proclamé aux tenues d’échauffement jetées sous les costumes retournés que les diamants sont les meilleurs amis de la femme. A girl in the middle of the scene, en train de marquer, c’est-à-dire d’esquisser les mouvements, d’en donner la direction sans les mener jusqu’à leur terme, les abandonner comme la force de la vague qui reflue avant de s’être brisée sur le rivage - a girl in the middle of the scene, en train de marquer une chorégraphie qui ne leur avait pas encore été dévoilée, c’est ce que découvre le reste de la troupe, éparpillée au milieu du désordre de la répétition générale. Les claquettes ont martelé l’éclat des diamants et tapent à présent dans le silence, hors de tout rythme, tandis que je descends dans la brume de la salle.
- Elle est vraiment bien ta chorégraphie. Mais on ne t’y reconnaît pas.
Je fais semblant de ne pas espérer, d’être surprise, semblant de ne pas attendre qu’elle avoue ce qu’elle ne peut que constater puisqu’elle vient seulement de le découvrir.
- Ah bon. En quoi ?
- On n’a pas l’habitude de te voir comme ça.
Je commence à jubiler en sourdine, mais j’insiste, je veux la pousser à capituler :
- Comment ?
- Bien… comme ça, sexy.
Elle l’a vu, enfin. Elle m’a vue. Je m’assure seulement qu’elle ne l’a pas reconnu :
- C’est sûr que vous en me voyez qu’avec mes habits de clodo du dimanche…
- Non, ce n’est pas ça.
Et je me rends compte que je suis restée en T-shirt rayé de ville et que j’ai répété avec un bas d’échauffement en polaire qui a tout d’une vareuse géante. Seul indice d’une tenue : les chaussures de claquettes, noires, enrobées, à talon épais et bride régulière. Rien de sexy en soi et pourtant le décalage d’avec les habits est déjà suggestif. Cela me fait toujours un drôle d’effet de voir les gamines avec des chaussures de ce type en cours de danse de caractère : elles n’ont pas l’air de vouloir faire sexy comme en empruntant des talons aiguilles à leurs mères ; ces chaussures sont les leurs, parfaitement à leur taille, tout à fait stables - aucun caprice lorsqu’elles tapent des pieds, ces talons laissent entendre un caractère affirmé et une séduction à venir. Entre les chaussures qu’on ne remarquerait pas sur une dame presque âgée et les collants blancs qui plissent aux genoux, il y a la possibilité troublante de la femme, de sa sensualité ; le mouvement comble le galbe qui n’existe pas encore. De même à mes pieds, elles transforment a girl en femme. De fille danseuse à femme qui danse. C’est une victoire, un triomphe feutré dans la brume du théâtre endormi. Aucun masque n’est tombé ; il ne s’agit pas de la rectification de ce que je suis par rapport à ce que je parais ; mais de la reconnaissance de ce que je suis aussi. Pas une facette que je revêtirais, mais admettre que je peux plaire et que mon corps, technique –articulé, maîtrisé- est aussi chair –délié. Diamant : dureté des articulations et éclat de la séduction J’éclate une aperception étriquée : je ne suis pas femme, et ne le deviendrai probablement pas puisque je peux l’être. Voilà que reconnue, connue à neuf, je ne suis plus limitée, contrainte à n’être qu’une enfant. Et moi qui ne porte qu’une montre pour tout bijou et ne tolère de brillant que les paillettes des costumes, j’occupe la scène, je prends davantage d’espace et minaude plus fort – conviction which convicts the others of their up to today mistake – que oui, diamonds are a girl’s best friends !

2 commentaires:

Cosmic Elopement a dit…

J'aime, j'aime, j'aime ce que tu écris !

Nos conversations me manquent !

khâryatide a dit…

Oh tu passes encore par ici. Je pensai à toi (pas à l'imparfait, ce n'était pas dans le vague, ni face à un granola proustien), à une phrase que tu as dite une fois et qui s'est mise à accrocher des détails, à rassembler des gens autour, dont je ne suis plus les métamorphoses d'assez près. Dre a appelé, j'étais tellement à mille lieues d'imaginer son appel que je n'ai pas reconnu sa voix.
Je ne voudrais pas que beaucoup plus près on devienne moins proches, nos conversations me manquent aussi (tes mots, écrits ou prononcés, et toi). Mauvaise irrésolution à faire passer après le réveillon.